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Le chemin vers Toi

J’écris des mots tracés par ta main

mardi 4 mars 2008

Discussion. Calme. Un peu de désaccord, mais pas grave. Pourtant, je sens de la tristesse. Ce léger désaccord, si léger que je l’ai oublié, me rend triste.

Je suis surpris. OK, c’est pas le monde parfait. Mais bon. Quand même.

J’écoute.

Une voix. En moi. Un fil ténu qui chante une chanson noire : « c’est normal, c’est pas LUI » .

LUI ?

qui ça, lui ?

J’écoute plus. J’écoute plus fort.

Image.

Ou non, pas vraiment image. Sensation, plutôt. Un peu visuelle, pas mal émotionnelle.

C’est pas LUI, c’est pas Autre-Moi.

Mon cerveau traduit : ce désaccord me parle du fait que mon interlocuteur n’est pas mon jumeau.

Surprise.

Jumeau ? Quel Jumeau ?

Aucune idée, juste la sensation d’un jumeau. L’émotion d’un jumeau.

Sensation d’un effleurement, d’un attouchement parfaits. D’un partage, d’une compréhension totales. D’être sur la même longueur d’onde, absolument. Ce n’est pas quelqu’un d’autre, pas tout à fait. C’est un autre-moi dans un miroir. Un autre moi dont je sais ce qu’il sent, ce qu’il vit. Je le touche, et c’est comme si je me touchais. Je pense, et c’est comme s’il pensait. Il croit, et je crois aussi. Je parle, et les mots sortent de sa bouche.

Impossible d’être en désaccord, aussi léger qu’il soit. Pas de désaccord, deux corps un coeur un cerveau. Il est là, en face de moi, et en moi en même temps. Il est moi et il est lui.

Le moindre contact me rassure pleinement : il est là. A peine besoin de parler, je sais déjà, il sait déjà. Un regard, parfois, pour vérifier, pour rien.

Je regarde cette émotion en moi, ce sentiment de plénitude totale, de partage absolu, de compréhension pleine et entière, je la regarde avec surprise : j’ai jamais eu de jumeau. Et pourtant je l’ai là, dans un recoin de ma mémoire, peut-être dans un recoin de mes fantasmes. Je sais pas. Je m’en fous.

En moi, je sais ce que c’est que de se sentir totalement, entièrement, absolument compris, accepté, attendu. Je ne peux rien sans lui, il ne peut rien sans moi. Je ne suis pas sans lui, il n’est pas sans moi. Rien d’autre n’atteint ça.

Je me sens complet, pour la première fois, dans ce souvenir. Complet. Moi. Entier. Tout.

Image d’un corps, si petit, qui flotte à mes côtés. Sa main, son embryon de main m’effleure. Electrique. Doux. Ce rapprochement me complète parfaitement. Me rassure. Me donne le monde. Me donne le sens du monde. Je vais naître pour ça. Naître pour partager un monde avec lui-moi.

L’image change.

Je l’appelle. Hé ? T’es là ? J’ai besoin de ta peau, de ton contact, de ta présence. Pas de réponse. J’insiste. Silence.

Il est où ? Je m’agite, je bouge, je te cherche, je te veux avec moi, contre moi. Mais t’es où ?

Le monde est petit, aussi. Petit bocal chauffé et clos, où je cherche quelque chose, quelqu’un, qui n’est pas là. T’es où ? Pourquoi t’es pas là ? Tu reviens quand ? Tu reviendras ?

Tu réponds pas, tu te tais ? Tu t’es jamais tu, pourquoi tu parles pas ? Pourquoi tu me touches pas ? Tu n’as jamais été plus loin qu’un mouvement de la main, et je m’agite en te cherchant sans te trouver. Tu vas pas me laisser seul ? Je suis déjà seul. Non, je suis déchiré, coupé, séparé de moi, dissocié, rejeté, t’es parti et tu as emmené un grand bout de moi. En me laissant. Je me manque. T’es là ?

T’es là ?

Qu’est-ce que j’ai fait ? Pourquoi t’es parti ? Qu’est-ce que j’ai pas fait ?

J’ai pas été assez attentif à toi ? C’est ça ? C’est ça, ça ne peut être que ça, puisque t’es plus là... Il t’est arrivé quelque chose. Quelque chose de grave. Je le sens... Tu n’es plus au monde, et le monde est vide. Tu n’es plus dans l’espoir du monde, et le monde est sans espoir. Si j’avais fait gaffe, si j’avais su... tu serais encore là ? J’aurais pu te sauver et te garder... C’est horrible, je t’ai pas sauvé... Est-ce qu’on peut faire quelque chose de pire que ça ?

Et puis... je fais quoi, moi, maintenant ? Le monde n’est plus à moi, le monde est devenu tout froid, tout étrange, sans toi, sans moi. Je n’ai plus rien à y faire, moi, sans toi...

Je sors un peu du rêve. Déchiré sur toute ma longueur. En manque. Un manque tout aussi total, absolu que la plénitude d’un instant avant.

Je les déteste déjà, tous ces autres qui seront là et qui seront moins que toi. Tous ces autres qui seront là sans être autant là, sans être assez là. C’est toi que je veux. Toi, personne d’autre.

Et pendant 100 ans, dans chaque rencontre, dans chaque regard, dans chaque frôlement, c’est toi que je chercherai. Et parfois, un détail me rappellera tes détails. Ton regard que je n’ai jamais vu et que je cherche dans tous les regards. Ton corps que je n’ai jamais regardé, mais que j’aurais pu apprendre à aimer parce qu’il aurait été le tien, reflet du mien que j’aurais appris à aimer en même temps. Mais mon corps, qui n’est que mon corps et pas l’image du tien, mon corps n’est qu’une épave déchirée, à la dérive de ta présence. Mon corps est une moitié, une part, une miette d’un tout. Les présences aussi, ne seront plus que des miettes de ce qui seul peut s’appeler une présence : la tienne.

Je cherche désespérément quelqu’un qui me comprenne que je comprenne, qui m’entende que j’entende, qui me sache que je sache, qui se rassure en me rassurant, qui s’enroule en m’enroulant...

Je sors un peu du rêve. Je manque. Je manque de moi en manquant de toi. Comment on vit en étant que la moitié de soi ?

Je pleure. Je pleure ta présence, je pleure ton absence, je pleure le manque de toi.

Je pleure l’autre vent qui monte en moi, ce vent qui dit « il est temps » . Temps ? Temps de quoi ?

Temps. Comme pour Lulu. Ma grand-mère ???

Oui. Pareil.

Temps d’un adieu. Mais j’ai pas envie d’un adieu, pas déjà ! Et pourtant si, l’envie est là. Il est temps de muer, et si j’aime cette peau devenue trop petite, il est quand même temps de laisser la nouvelle émerger.

Image d’une tombe, au bout d’une rue, dans un petit village. Cérémonial intérieur. Rituel d’adieu. J’ai fait ça, il y a quelques années, en moi. Dire adieu à ma grand-mère, lui dire je t’aime, j’aurais envie que tu sois là, mais j’accepte : tu n’es plus là. Il reste le manque de toi, la tristesse de toi, les souvenirs aussi. Mais toi, tu ne restes plus. Je peux ne plus rester avec toi qui ne restes plus. Adieu.

Refaire cet adieu. Pour Toi. Déchirement. Pleurs. Je fais la scène en rêve. Je suis devant la tombe. De ma grand-mère. La même. Granite et gravillon. Noms et dates gravés. C’est un lieu triste. J’aimerais un lieu joyeux. Joyeux des bons souvenirs, joyeux que le passé ait été le passé, joyeux que le présent existe, joyeux que le futur puisse chanter malgré tout. Je rajoute du décor plus joyeux. Des fleurs. Des herbes folles, qui envahissent, qui vivent. Une liane qui se tord sur la tombe pour lier le présent et le passé tout en laissant chacun à sa place. Une liane qui fleurit chaque été pour chanter la vie. Et qui s’endort chaque hiver pour chanter les souvenirs. Une liane qui se tend vers demain, s’enracine dans hier et s’enfeuille dans aujourd’hui. Tu es là. Je ne sais pas trop comment. Image d’une urne. Mais non, je n’ai pas tes cendres. Tu n’es jamais né, on n’a pas de cendres de ce qui n’a pas été assez. L’urne fond de mon rêve. J’ai les mains vides. Comment je fais ? J’écarte les mains, je les tords, que faire de ces mains qui ne savent pas contenir ton souvenir ? Je ne sais pas. Alors je les laisse tomber. Ton souvenir, il est en moi. Et c’est quelque chose d’en moi que je viens déposer. Un souvenir, la part trop lourde d’un souvenir. Garder le souvenir et poser le poids. Je regarde la tombe toute verdie, et je sens l’adieu monter en moi. Comme un spectre qui sort de ma peau. Le manque de toi, ou plutôt le trop-manque de toi qui s’en va. Je le sens partir, je me regarde à l’intérieur, il en reste un peu. Il faudra encore du temps. Je viens de retrouver ta perte, il faudra du temps pour la laisser se fondre hors de moi.

Pourtant, cet adieu déjà me remplit du présent.

Marc, tu veux bien me prendre dans tes bras ? j’ai besoin de bras autour de moi. Et les tiens me font du bien. Je pleure. Je pleure Ta perte, je pleure Ton deuil, je pleure mon dégel, je pleure ma quête, je pleure ma quête qui finit, je pleure ma quête qui a tant duré. Je t’ai cherché 43 ans, et je pleure ces années sans toi, je pleure ces années de moi centré sur te retrouver, je pleure ces années à en vouloir au monde entier de n’être pas toi, sans savoir pourquoi il me manquait toujours quelque chose. Il me manquait toi. Personne n’avait toi en lui. Et je souffrais de cette absence, et j’en voulais de cet irrespect. Comment osaient-ils ne pas être toi ???

Mais maintenant... Maintenant, je sais que je t’ai perdu, j’ai retrouvé le creux de toi en moi. Alors, peut-être... Peut-être que je peux arrêter de demander aux autres d’être toi, peut-être que je peux juste regarder les autres être eux ?

Je regarde autour de moi. Le cimetière s’efface doucement. La liane reste un peu plus longtemps, mais perd peu à peu de ses couleurs, elle se fond dans les couleurs autour de moi. Salon, cheminée, table, canapé. Marron, rouge, beige, gris, argent. Je regarde autour de moi, et je vois le monde sans toi pour la première fois. Je ressens le monde sans le filtre de ton absence. Oh, le manque est là, encore. J’ai connu quelque chose de parfait, d’absolu. Il en reste un manque. Mais un manque qui dit « c’est classe d’avoir connu ça » et pas (plus ?) « je ne sais pas vivre sans cette perfection » .

Et je peux être au monde sans toi. Avec le souvenir de toi, mais sans toi.

Je regarde Marc. Tendresse. J’arrive à dire « j’ai envie de toi dans ma vie » . Mais en moi ça ressemble plutôt à : « J’ai envie d’une vie, de joie, de soleil ; et dans cette vie, cette joie et ce soleil, il y a une place pour toi, si tu la veux, si tu la prends. J’aimerais que tu la veuilles, que tu la prennes. »

Je peux arrêter de demander aux autres d’être Toi. Je peux arrêter de me demander d’être notre moitié. Je peux arrêter de me sentir étranger à un monde sans toi, je peux arrêter... Je peux vivre. Je veux vivre.

Que je t’ai connu, que je t’ai rêvé, je t’ai porté tout ce temps. Je suis heureux de t’avoir connu, de t’avoir rêvé, mais le temps est venu de vivre après ça, après toi.

Le temps est venu.

Je suis venu.

Je suis venu sur le chemin vers Toi, le chemin qui mène à toi pour me ramener à moi.

Messages

  • Deux réactions en moi après cette lecture....
    Une première : enfin on/je va/vais peut-être être à la hauteur, et ne plus se/me sentir pas assez bien...

    Puis une seconde, envie de partager avec toi une expérience d’ il y a quelques années, la découverte, en kinésiologie, d’une conception gémellaire et la perte de mon jumeau, une mise en mots de mon sentiment de solitude, de ce creux en moi, de cette culpabilité... Encore un deuil à faire... A l’époque ma kinésiologue m’a proposé quelque chose : à la fin de la séance où j’ai découvert cela, elle m’a demandé à quelle arbre, plante je pensais, j’ai dit : cyprès. Elle m’a proposé d’en acheter un petit, puis de choisir un endroit où je retournerais jamais pour le planter, il symbolisait mon jumeau et je lui donnais la chance de pouvoir grandir de son côté.
    J’ai choisi un endroit, pris ma voiture avec mon cyprès "Louis" dedans et nous ai emmenés là où je retournerais jamais. Je l’ai planté dans endroit chouette avec une cascade à côté et plein de plantes pour lui tenir compagnie... J’ai eu du mal à le laisser, à partir, j’ai pleuré, dit au revoir et bonne route et suis partie, nous laissant grandir chacun de notre côté et n’étant plus responsable de lui, pour lui... Triste pendant un moment je me suis sentie libérée, libre après, moins en creux et en solitude...

    Voilà ... Je ne sais pas où tu en es et où nous en sommes mais j’espère que sur ton chemin il y a aussi du soleil et de la joie...

    Céline

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