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Nancy Houston - L’espèce fabulatrice

Encore un Mark’s book...

lundi 9 juin 2008

A travers ce livre, l’auteur annonce qu’elle va chercher à répondre à une question : « à quoi ça sert de raconter des histoires, alors que la réalité est déjà tellement incroyable ? » .

Dans le premier chapitre, elle s’interroge sur ce qui donne du Sens aux choses, et conclut que c’est l’observation de ces choses. L’observation, effectuée par un observateur qui tente de les interpréter, qui tente de répondre à cette question : « pourquoi ? » . Enregistrer les faits ne leur donnerait aucun sens, mais les interpréter, chercher les liens de causalité ou autre le ferait. Pourquoi pas...

Elle poursuit en disant que l’être humain, seul parmi tous les êtres de l’univers, est un être du « pourquoi » . Je suis encore et toujours amusé de cette affirmation si nette et si tranchée : nous sommes les seuls à ceci ou cela. Ben voyons ! Nous SAVONS, nous avons établi, prouvé, que les autres êtres vivants ne réfléchissent pas assez pour se demander pourquoi les choses sont ce qu’elles sont. Que votre chat vautré sur son canapé et qui vous regarde vous agiter prend note de votre agitation (il vous suit du regard) avec un léger agacement (vous troublez sa sieste) mais nous savons que jamais, au grand jamais, il ne lui est venu à l’idée de se demander « pourquoi » vous faites ça. Ben comment on sait ça ?

On peut dire qu’on sait que le chat ne manifeste pas de façon entendable pour nous qu’il se pose des questions...

Mais à l’inverse les dauphins qui viennent tendre une nageoire secourable au marin en péril, ne font-ils pas preuve de plus d’à-propos que ce que Nancy prétend ? Ne sont-ils pas justement dans une analyse de causalité du type « cet homme est tombé à la mer, l’homme nage mal, cet homme va se noyer, aidons-le » ? Peut-être pas, peut-être que c’est un instinct et que nous dégageons la même odeur que les bébés dauphins qu’il faut soutenir pour qu’ils respirent, je sais pas.

J’ai une chatte qui a pour habitude de rapporter les balles qu’on lui lance. Elle a aussi l’habitude de prendre l’initiative de ce jeu : elle m’amène une balle et la crache sur mes pieds. Puis attend. J’attrape la boule de mousse, la chatte commence à partir en courant, puis s’arrête et attend. Si je lance la balle, elle tente de l’attraper au vol en sautant puis lui court après. Mais si je claque de la langue et tends le bras dans une autre direction, la chatte comprend que la balle va partir ailleurs et file par anticipation dans cette direction.

Il n’y a pas de mot entre nous, mais il y a bien une communication. Chacun de nous anticipe les réactions de l’autre. Chacun de nous mobilise des capacités pour traverser la barrière entre espèces. Ma chatte sait d’avance que si elle amène la balle, il y a une probabilité que je joue avec elle. Comment a-t-elle créé cette projection la première fois ? Elle a bien établi une analyse de ce qui se passait, elle en a bien déduit une projection sur l’avenir : mon humain me renvoie la balle quand je la lui donne... Elle m’a éduqué à lui faire plaisir...

A-t-elle questionné le pourquoi de mes actes ? Je sais pas. Je crois qu’elle a réfléchi et analysé. Sans doute pas comme un humain, juste comme un chat. Ou peut-être qu’elle n’a rien fait, que tout ça est juste du hasard, de l’apprentissage : elle m’a apporté sa balle sans réfléchir et a remarqué que je la lançais et que c’était marrant, alors elle a recommencé et a ancré ce comportement. Pas d’analyse, juste la recherche d’émotions de plaisir.

Je ne sais pas, les deux sont possibles, et je n’ai de preuve ni dans un sens ni dans l’autre.

Alors je me demande : pourquoi Nancy Houston, dont j’aime bien les réflexions un peu abruptes, qui démonte pas mal de mythes en 10 phrases, pourquoi veut-elle partir d’une affirmation qui n’est pas établie.

Selon elle, donc, seul l’être humain interprète, et c’est parce qu’il est fragile qu’il a besoin de se projeter dans l’interprétation et l’analyse, qu’il donne du Sens aux évènements et qu’il en tire un peu de réassurance ?

Mais on s’en fout d’être seuls ou pas. On le fait. Pas besoin de se la péter en voulant se croire les seuls. Nous nous sentons fragiles, nous cherchons à nous rassurer, nous cherchons à anticiper les problèmes pour les éviter.

J’ai la croyance, de mon côté, que vouloir se convaincre que nous sommes seuls, c’est une façon de prendre une autre posture rassurante, une façon de se placer au centre de l’univers, de se permettre d’asservir l’univers.

Si dans tout l’univers je suis le seul qui pense, que valent d’autres vies par rapport à la mienne ? Je peux tuer, massacrer, asservir, c’est ma place logique et normale de seul être qui sait, qui analyse, qui comprend... Je me rends plus précieux que d’autres en me croyant seul capable. La foule des animaux copule, se reproduit, mais moi, Humain, je pense. Et comme j’ai cette capacité unique, je suis précieux, exceptionnel. Et puisque je suis précieux, je dois être favorisé.

Nous, êtres humains, ne cessons de recréer ce processus. Les romains pouvaient asservir les « barbares » car ils les regardaient presque comme des animaux. Les européens ont pu massacrer les sud-américains puisqu’ils leur apportaient LA civilisation (à la place de leurs rituels « primitifs » ). Les nazis ont pu massacrer les juifs car ils furent décrétés inférieurs.

Nous créons sans arrêt des hiérarchies artificielles pour favoriser ce qui nous est utile, notre petit groupe de pairs. Nous inventons des tissus de mensonges pour nous favoriser en toute bonne conscience. Car sans cela la culpabilité serait, sans doute, insoutenable...

Accepter de regarder en face qu’un bœuf à l’abattoir ressent de la terreur, qu’un poulet dans une usine a une vie de merde, qu’un poisson enfermé dans un bassin pourrait être neurasthénique, et que chacun d’entre eux pourrait être EN CE MOMENT en train de nous maudire pour ce que nous leur faisons subir, accepter d’entendre que les Africains meurent de faim aujourd’hui en partie à cause de ce que NOUS leur avons fait il y a 1, 10, 100 ou 200 ans, ce serait écrasant.

J’ai la croyance que la réalité est plus proche de : « l’être humain cherche la domination et pas l’harmonie » que de « l’être humain, seul être pensant de l’univers, est privilégié et doit être favorisé » .

Car au fond, lorsque nous laissons mourir dans l’indifférence nos congénères, lorsque nous acceptons de détruire la planète pour notre bien-être, lorsque nous acceptons d’exploiter des êtres humains pour le plus grand profit de quelques-uns, ne nous révélons-nous pas au plus proche de notre part primitive, celle qui est le moins capable d’empathie, d’interprétation, d’intelligence et d’anticipation ? Ne sommes-nous à cet instant soumis à nos pulsions, nos peurs et nos égoïsmes ?

Est-ce que ce n’est pas quand l’être humain s’auto-proclame au centre de l’univers au nom de son humanité qu’il se révèle être le plus animal ?

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