Libération publie un article sur la détermination du gouvernement à maintenir le même cap, qui devrait finir par porter ses fruits. Si j’apprécie que pour une fois un gouvernement pense à plus long terme que le prochain sondage, je trouve particulièrement regrettable qu’il s’agisse d’un gouvernement socialiste menant une politique néo-libérale. Affirmer une direction était une nécessité. Choisir "la" bonne aurait dû être une priorité absolue.
Hollande, virtuellement animé par Libération : « Il n’y a pas de changement de cap ni de tempo dans la stratégie du gouvernement. Il n’y aura ni accélération ni freinage, mais la même détermination à mener les réformes dont le pays a besoin pour profiter à plein de la croissance quand celle-ci reviendra. »
"Les réformes dont le pays a besoin" : offrir 20 milliards aux entreprises, entériner la Règle d’Or, reculer sur le taux d’imposition des plus hauts revenus, instaurer l’austérité sans l’assumer, c’est vraiment ce dont le pays a besoin ????
Michel Sapin : « Nous faisons monter en puissance les outils qui permettront de l’inverser d’ici la fin de l’année. La première moitié sera extrêmement délicate, la seconde sera peut-être celle du rebond ». Quel bla bla venteux et creux ! Il serait intéressant de nous présenter un tableau de ces outils, avec les bénéfices attendus et les inconvénients constatés. Pour ma part, je constate que nous aurions besoin
(1) de plus de redistribution : les 1% des plus riches s’emparent de 5% des salaires, mais aussi de 30% des revenus du capital (comme les intérêts de votre livret A) et de 50% des revenus exceptionnels ; autrement dit, on est revenu au niveau de 2007, c’est-à-dire bien plus que le niveau des années 90, et surtout bien plus que dans tous les autres pays européens, sauf le Portugal [1]....
Petite question : qu’est-ce qui justifie la redistribution ? Ben oui, quoi ! A quoi ça sert de piquer aux uns pour donner aux autres ? Tient, ça c’est de la question ! Je dirais (a) l’éthique, (b) l’efficacité économique (voir l’article du Nouvel Obs sur l’Économie des Vampires. En synthèse : dans une société, quand un groupe est "trop prédateur", tout le monde en pâti et ce groupe finit par disparaître dans un grand effondrement - ça vaut pour les vampires trop gourmands, pour les riches trop capitalistes et pour les humains trop consommateurs de ressources naturelles)
(2) de mettre la production et la finance au service de l’ensemble de la société. Dans l’Antiquité, l’économie servait à enrichir une caste dominante. Au Moyen-Âge, sous une autre forme, c’était un peu pareil : une oligarchie aristocratique ou religieuse détenait la propriété et prélevait des taxes. Au XXè siècle, le mouvement s’est inversé et les classes populaires ont conquis du mieux-être économique (salaires, retraites, sécurité sociale, assurance chômage, droit du travail,...), ce qui a fait dire à un économiste américain (Krugman, Stilglitz ?) que l’Europe avait bâti dans ces 50 ans-là l’une des sociétés les plus dignes que le monde ait connu. Depuis 30 ou 40 ans, la tendance s’inverse - et l’inversion s’accélère. Héritage de la colonisation ? Erreur stratégique ? Toujours est-il que nous sommes devenus dépendants des importations (pétrole, uranium, matières premières diverses, gadgets low-cost), importations qui nous à leur tour nous imposent de parvenir à exporter, ne serait-ce que pour ne pas être ruinés. Qui dit exportation dit concurrence avec des contrées qui n’avaient pas décidé des mêmes structures sociétales. Nous nous retrouvons donc obligés de vendre à des gens qui produisent aussi bien mais moins cher. Impossible équation... Les "patrons" et les "gens de droite" en profitent pour nous expliquer que notre modèle social est donc mal foutu. C’est en réalité tout l’inverse. Notre modèle est moins efficace pour exporter quand nos tentons de concurrencer des peuples qui exploitent leurs classes populaires, certes. Mais est-ce vraiment le seul critère d’appréciation ? Pour l’instant, nos dirigeants colmatent les brèches en réduisant nos solidarités sociales. Est-il cohérent et souhaitable de supprimer l’éthique sociale sur laquelle repose notre société au nom de l’efficacité exportatrice ? N’aurions-nous pas plutôt intérêt à réinventer un modèle économique d’import-export qui reposerait sur nos valeurs ? La solidarité de la redistribution est-elle la seule cause de tous nos maux ? Je ne crois pas.
Juste un exemple. Caricaturalement, l’Allemagne a réussi en se positionnant sur le haut de gamme (aidée en cela par les puissances occidentales à la fin de la 2è guerre mondiale). La Chine en se positionnant sur le "pas cher". L’industrie française est majoritairement positionnée sur un milieu de gamme (Renault, Peugeot : pas des voitures d’entrée de gamme, mais pas de voitures de luxe). Un milieu de gamme qui intéresse moins le monde moderne. Globalement, on achète "pas cher" quand on n’est pas intéressé particulièrement par une qualité élevée (les vêtements) ou alors très cher quand il y a une motivation particulière (un iPad ou une voiture hybride). Conséquence : l’industrie française a de plus en plus de mal à vendre ses produits. La balance commerciale a plongé dans des abysses insondables (déficit de 74 milliards d’euros en 2011, cf. Les chiffres du commerce extérieur, Le Kiosque). Le commerce - sous la forme actuelle - avec la Chine et avec l’Allemagne concoure à nous appauvrir. Et si on changeait ça ?
(3) d’apprendre à transformer les réussites en succès. Les entreprises se plaignent que les rigidités et les coûts du travail sont à l’origine de leurs difficultés. Nous venons de le voir, d’autres analyses sont pourtant possibles : elles ont surtout du mal à se positionner. Elles ont aussi du mal à transformer l’innovation en succès commercial.
La France a largement participé à la création du monde moderne. Vous avez oublié ? Allez, je résiste pas
- 1743 : l’ascenseur à contrepoids par De Velayer
- 1775 : l’eau de Javel par Claude Louis Berthollet
- 1795 : les conserves alimentaires, par Nicolas Appert
- 1816 : la photographie, par Nicéphore Niepce
- 1817 : le ciment par Louis Vicat
- 1839 : la cellule photovoltaïque, par Antoine Becquerel (éh oui, on commence à peine à s’en servir)
- 1850 : Ferdinand Carré met au point le réfrigérateur à ammoniac...
- 1852 : le barrage à voûte, par Francesco Zola
- 1879 : la première centrale hydraulique est construite à Saint-Moritz
- 1883 : première expérience mondiale de transport d’électricité, entre Vizille et Grenoble
- 1895 : les frères Lumière donnent vie au cinéma avec la première projection publique à Paris
- 1928 : le béton, par Eugène Freyssinet
- 1931 : René Barthélemy réussit pour la première fois en France à retransmettre une image de 30 lignes entre Montrouge et Malakoff en banlieue parisienne, créant ainsi le premier téléviseur en action
- 1934 : la radioactivité artificielle par les Joliot-Curie et le radar par Emile Girardeau
- 1951 : hélicoptère à turbine
- 1953 : scaphandre autonome par Cousteau
- 1973 : le Micral N, le premier micro-ordinateur du monde, est inventé par François Gernelle et Philippe Kahn
- 1974 : invention de la carte à puce (carte bancaire) par Roland Moreno
- 2001 : le baladeur multimédia, chez Archos
- 2004 : l’hypertéléscope
Nombre des équipements inventés par des français sont passés dans la vie quotidienne : photos, cartes à puces, ordinateur personnel, ciment, béton et béton armé, moto, cafetière, ascenseur, cinéma, allumettes, vaccins, réveil-matin, batteries rechargeables, vélo, pile sèche, etc etc etc.
Certaines d’entre elles pourraient ouvrir les portes de demain : cellule photovoltaïque, barrage à voute, géothermie pour se passer de pétrole.
Et pourtant... Vous connaissez des leaders mondiaux français dans ces domaines ? les appareils photo sont japonais, les cartes à puce américaines, les ordinateurs asiatiques ou américains, les cellules voltaïques chinoises, le cinéma hollywoodien. Il nous reste le pneu. Globalement, la France est créative - peut-être pas plus que d’autres, mais en tout cas pas moins. Mais elle ne sait pas transformer ses idées en succès commerciaux. Nos entreprises ne savent pas bien innover, sauter sur les idées.
(4) de prendre en compte le long terme. La transformation de la lumière en énergie utilisable (photovoltaïque par exemple) a été inventée AVANT l’utilisation du pétrole. Mais oubliée : il fallait du temps pour la rendre efficace. L’utilisation du nucléaire, des pesticides, des voitures, (des OGM ?) etc. répondait à un besoin immédiat, mais leurs conséquences sont désastreuses : accidents dévastateurs, pollution, destruction de notre habitat, éradication d’espèces vivantes, réchauffement climatique, atteintes à la santé... Nous avons cru que ce progrès-là répondrait à nos besoins. Il nous met en péril. Simultanément avec une crise sociétale et économique profonde qui nous "empêche" de changer : au moment où il faudrait investir massivement pour modifier tout ça, nous sommes privés de moyens. Nous colmatons vaguement pour sauver l’économie (allongement des cotisations retraite, diminution des prestations de la Sécu ou du chômage,...). Mais nous ne prenons pas en compte les autres besoins à long terme. L’être humain ne survivra pas s’il est la seule espèce à survivre. Nous croyons pouvoir nous passer de la nature, mais ce n’est pas le cas : encore une fois, voir l’économie des Vampires ; voir aussi "C’est au Sommet Que se Joue le Destin des Écosystèmes" - qui montre qu’en supprimant les prédateurs dominants, c’est-à-dire ceux que l’Homme détruit en premier (requins, loups, tigres,...), tout l’écosystème est ébranlé ; voir encore "Les limites à la Croissance dans un monde fini", par Donella Meadows, ou "Effondrement", par Jared Diamond ; et allez, pour suivre l’actualité (sortie en 3D en avril 2013
), voir la théorie du chaos de Ian Malcolm dans Jurassic Park, qui reprend bien l’idée de ces système déstabilisés qui ne peuvent qu’aller au bout de leur chute.
Nous agissons comme des apprentis sorciers, fascinés par notre pouvoir et par le bénéfice immédiat. Nos sociétés n’y résistent pas (cf. ce qui s’est passé pour les Vikings, les Anasazis (des Amérindiens), les Mayas, les Pascuans : les causes de la chute de ces sociétés sont actuellement en œuvre contre la notre), et la planète ne pourra pas nous supporter très longtemps à ce rythme.
Alors que conclure ? Je crois que notre course en avant pour devenir concurrentiels n’est pas la bonne. Je crois que notre course en avant dans l’exploitation des ressources naturelles est mortifère. Je crois que notre croyance en notre toute-puissance nous perd.
Faudra-t-il revenir aux salaires et aux temps de travail des Chinois pour concurrencer la Chine ? Faudra-t-il revenir aux (absence de) contrats et d’assurance-chômage pour concurrence les USA ? Faudra-t-il supprimer le SMIC pour concurrencer l’Angleterre ? Ce sont d’étranges idées...
Nous pensons pouvoir utiliser, prélever, exploiter sans conséquence (les autres aussi bien que les ressources non renouvelables comme l’air ou les océans), et c’est faux. Jared Diamond le montre : juste avant leur effondrement, les sociétés font tout pour maintenir leur fonctionnement habituel, et quand elles prennent conscience du danger, il est trop tard : le système est devenu si instable qu’elles n’arrivent plus à surmonter les difficultés.
C’est un tout nouveau modèle qu’il faut, un modèle dans lequel les nouveautés devront être validées à grande échelle et sur le long terme avant d’être adoptées, un modèle reposant sur des valeurs humaines fortes. Sommes-nous prêts ? Je ne crois pas encore.
La politique de ce gouvernement (et pire encore, celle du gouvernement précédent) ne prend rien de tout cela en compte. Elle continue sur la même lancée. Et cette lancée va droit dans le mur.
le 3 septembre 2017 par Eric
le 1er septembre 2017 par Bibi
le 24 juin 2017 par Eric
le 29 mai 2017 par roland