Cerveau et Psycho, n°13, février 2006
Concepts
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"Les femmes sont décidément toutes pareilles...", "Les Maghrébins parlent fort", ou "Les Allemands sont disciplinés et aiment la bière..."
Pourquoi certains d’entre nous ont-il tendance à généraliser lorsqu’il est question d’évoquer un groupe de personnes partageant une caractéristique commune ? Le plus étonnant est que, si certains Français affirment volontiers que les Allemands sont disciplinés et aiment la bière, ils hésitent bien souvent à appliquer de semblables généralisations aux Français. Forcément, il ya les Parisiens, les Alsaciens, les Bretons...
Cette différence s’explique, selon les psychologues qui étudient les stéréotypes, par le fait que nous considérons notre propre groupe comme diversifié et les autres groupes comme plus homogènes. En d’autres termes, on perçoit les membres de son groupe comme différents et ceux des autres groupes comme similaires.
La tendance à considérer les membres des autres groupes comme semblables se nomme biais d’homogénéité de l’exogroupe (l’exogroupe étant le groupe auquel on n’appartient pas). Ce biais d’homogénéité de l’exogroupe a été démontré dès 1988. Les psychologues Charles Judd et Bernadette Park, de l’Université du Colorado, ont demandé à des volontaires d’observer des tableaux de Klint et Kandinsky, puis les ont répartis dans deux groupes, prétendument selon leurs préférences (mais en réalité de façon aléatoire). Puis toutes ces personnes ont été réunies dans une salle où chacune devait se présenter brièvement devant les autres, déclinant sa matière principale à l’université, ses occupations de loisir, son âge etc...
Les psychologues ont ensuite constaté, grâce à des questionnaires, que les volontaires jugeaient les membres de leur groupe plus variables que ceux de l’autre groupe. Ils considéraient qu’au sein de leur groupe se trouvaient des personnes sympathiques et d’autres désagréables, des personnes intelligentes et d’autres bornées etc... Au contraire, les participants de groupe externe (exogroupe) étaient perçus comme hommogènes... alors que chacun avait entendu les mêmes présentations de tous les volontaires !
Plus tard, on a constaté que ce biais de perception se manifestait aussi lorsqu’on interrogeait des passants à propos de groupes existant dans la réalité (étudiants, catégories socio-professionnelles).
Malgré cette tendance générale à considérer comme similaires les membres d’un exogroupe, certaines personnes y sont plus sujettes que d’autres, et celles qui y sont davantage sujettes ont tendance à appliquer plus de stéréotypes. [...] En d’autres termes, l’homogénéité de l’exogroupe "écrase" la particularité de l’individu et rend le stéréotype encore plus dévastateur.
Voici un autre effet de l’homogénéité des exogroupes : la généralisation à partir d’un cas particulier. Les psychologues B. Park et Reid Hastie ont montré qu’on a davantage tendance à généraliser un individu au groupe entier s’il s’agit d’un groupe homogène que s’il s’agit d’un groue hétérogène. Par exemple, si vous voyagez dans un pays étranger pour la première fois, et que le serveur d’un restaurant ne vous pas exactement la monnaie qu’il vous doit, vous aurez tendance à considérer que tous les habitants de ce pays sont malhonnêtes, pour peu que vous vous considériez les habitants de ce pays comme un groupe homogène. Le biais d’homogénéité de l’exogroupe serait ainsi le terreau des clichés et des généralisations hâtives. Cela peut sembler naturel, mais le biais d’omogénéité de l’exogroupe a des conséquences plus inattendues sur les discriminations au sein d’un même pays.
Selon un autre phénomène psychologique, nous aurions tendance à considérer comme plus similaires les membres d’un groupe occupant une position sociale défavorisée, et comme plus divers les membres d’un groupe ayant une position sociale supérieure. Ce phénomène a été démontré il y a quelques années par Fabio Lorenzi-Cioldi, de l’Université de Genève. Dans ses expériences, ce psychologue avait repris le protocole expérimental de C. Judd et B. Park : il avait montré à des volontaires des tableaux de peintres contemporains, et les avait répartis en deux groupes, prétendument selon leurs préférences artistiques (en réalité, la répartition s’était faite au hasard). Puis il leur disait que ceux qui avaient préféré tel peintre l’avaient fait en raison d’une grande culture et d’un goût certain pour l’art, ce qui n’était pas le cas de ceux ayant choisi l’autre peintre.
Ce faisant, F. Lorenzi-Cioldi créait un groupe dominant et un groupe dominé dans le domaine culturel. Ensuite, il demandait à chaque participant d’écouter l’enregistrement d’une conversation censée réunir quatre membres du groupe dominant et quatre membres du groupe dominé. Il leur remettait aussi une feuille comportant des descriptions des quatre membres de leur groupe (par exemple, leur âge ou leur groupe de rock préféré). Par la suite, les formulaires ont été rassemblés et on a demandé aux participants de reconstituer les informations sur les quatre membres de chaque groupe. Les psychologues se sont aperçus que les participants attribuaient correctement chaque information aux membres du groupe dominant, mais mélangeaient les informations relatives aux membres du groupe dominé, attribuant par exemple à une personne le groupe de rock préféré d’une autre personne : en d’autres termes, les personnes du groupe dominé leur paraissaient plus facilement interchangeables, et moins "individualisées", moins variables, que celles du groupe dominant.
Dans cette expérience, les deux groupes étaient objectivement aussi hétérogènes l’un que l’autre. Ainsi, les participants percevaient les membres du groupe dominé comme plus somilaires uniquement à cause d’un biais de perception. Ce qui se comprend aisément : chacun a naturellement tendance ) focaliser son attention sur les groupes dominants - hommes, riches, gagnants - que sur les groupes dominés - femmes, pauvres, ou perdants. En conséquence, nous retenons davantage d’informations "individualisantes" sur les membres de groupes dominants et nous percevons ces groupes comme plus diversifiés que les groupes dominés.
Ainsi, lors de la dernière Coupe du monde de football, immédiatement après la finale, les chaînes de télévision ont diffusé des reportages détaillés sur l’équipe gagnante, celle du Brésil. Il y avait des petits clips sur chacun des joueurs les plus importants, séquences retraçant leur histoire et leur carrière professionnelle. Cette focalisation de l’attention a naturellement entraîné l’impression que ces joueurs ont chacun leur particularité, alors qu’aucune chaîne n’a diffusé d’informations sur l’équipe perdante, ce qui reflète parfaitement ce que les téléspectateurs veulent savoir.
Toutefois, ne peut-on aussi imaginer que, dans certains cas, les membres de groupes favorisés soient réellement plus hétérogènes (et non seulement perçus comme tels), et que les membres de groupes défavrisés soient réellement plus homogènes ?
Imaginez que deux individus croient que les femmes sont moins douées que les hommes en mathématiques. Le premier croit que toutes les femmes ont un niveau à peu près similaire en mathématiques, légèrement inférieur aux hommes. Le deuxième pense que certaines femmes sont bonnes en mathématiques, et d’autres très mauvaises, de sorte que la moyenne, est, comme précédemment, légèrement inférieure au niveau des hommes. Les deux individus ont la même perception de la position moyenne des femmes, mais pas la même perception de la variabilité du groupe des femmes. Confronté à une femme en chair et en os, le premier individu juge cette femme moins bonne qu’un homme puisque dans son esprit "toutes les femmes sont pareilles". Le second, néanmoins, ménage une marge d’incertitude, car il sait qu’ili peut s’agir d’une femme ayant un bon niveau en mathématiques, même s’il croit que la moyenne des femmes est moins bonne que celle des hommes.
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