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Autisme de haut niveau

ça y est, je sais !

mardi 4 février 2020, par Eric

Bon ben voilà. Je sais. Je suis un peu autiste, mais (pour me rassurer) de « haut niveau » .

Tout a commencé par une copine qui se questionnait sur son propre autisme. Elle avait lu un bouquin qui en parlait (Dans ta bulle : Les autistes ont la parole : écoutons-les ! de Julie Dachez), et racontait comment les symptômes décrits lui parlaient. à‡a m’a interpelé : je me reconnaissais dans chacun des symptômes ^^

Bon, je connais le syndrome de l’étudiant de Médecine qui pense avoir chacune des maladies qu’il commence à étudier. J’ai évité de m’emballer... Enfin, essayé ! J’ai lu le bouquin, merde ça matchait quand même bien. J’ai lu des trucs sur Internet... ça matchait toujours. J’ai fait des tests en ligne en tentant d’identifier ceux qui reposaient sur des études sérieuses (Aspie Quizz), merde ils disaient que je devrais consulter.

J’en ai donc parlé à mon médecin. Réaction normale « m’enfin, sûrement pas, j’en connais des Asperger, sont pas du tout comme vous ! » . Ouais, on m’a déjà fait le coup ( » Vous, gay ? Sûrement pas, vous êtes pas une grande folle ! » ou « Vous, surdoué ? ça se saurait depuis le temps, t’aurais déjà réussi quelque chose ! » ... Euh, déjà merci pour mes [nombreuse] [non-]réussites, merci aussi pour gay == folle, et d’abord comment tu sais que je suis pas une « grande folle » dans mes meilleurs moments ????). Bref, le petit geste de la main qui dit « mais arrête de délirer » , j’ai ai soupé.

J’ai laissé mijoter. Mais l’idée me quittait pas. Au bout de quelques mois, j’ai cherché un psychologue spécialisé qui focalisait pas (ou pas que) sur les enfants. Non parce que pour les enfants, y’a pléthore de systèmes. Par contre, si vous avez déjà vos premiers poils sur le menton, il semblerait que plus personne ne puisse grand-chose pour vous, circulez, y’a rien à voir et franchement, à votre âge, vous devriez savoir vous dém... Ouais, ben... ou pas !!

J’ai donc appelé une psy, qui a accepté de me recevoir. Dans la salle d’attente, avant moi : un gamin. Après moi : un gamin. OK, je fais tâche ! Tant pis !!

Je lui ai un peu raconté ma vie, pourquoi je pensais que ça matchait, elle m’a fait passer un test d’anxiété sociale, le score était... sacrément élevé. Je me souviens d’une question : « Vous êtes dans la rue. Votre portable sonne. Vous (a) décrochez systématiquement, (b) décrochez seulement si c’est une personne bien connue, (c) décrochez uniquement si c’est un appel attendu ou (d) ne décrochez jamais » . J’avais répondu (c)... avec un doute : ce serait pas (d) ???? Non, si je file un rendez-vous téléphonique, je réponds ! Bon. Le soir, je raconte ça et là étonnement : les autres RÉPONDENT presque systématiquement ! Bref, la psy m’a proposé de faire réaliser un diagnostique par un psychiâtre.

Eh ben go psychiâtre, au moins je saurai !

La première séance m’a surpris, j’avoue : le psychiâtre a commencé par me demander si je préférais qu’il me dise bonjour à distance ou me serre la main. Je m’étais jamais posé la question de ce que je PRÉFÊRE. Après, il m’a demandé si j’aimais mieux avoir de la lumière par la fenêtre, par le plafonnier ou par les appliques. J’ai choisi les appliques. Il a baissé le store, éteint le plafonnier... C’était plus confortable : la fenêtre étant derrière lui et moi en face de lui, j’avais le soleil dans les yeux (enfin, le soleil... Exposé Ouest le matin, j’avais le reflet du soleil sur la façade de l’immeuble d’en face qui était rouge brique, donc pas non plus une lumière à griller un vampire sur place).

Le psy m’a posé mille questions : et comment vous réagissez si ceci, et comment vous vous sentez si cela, et comment ça se passe dans tel cas, et que vous disent les autres à propos de ça, et que dites-vous dans si cela et comment gérez-vous si ceci etc. etc. etc.

Pendant ce temps, la psy(chologue) me faisait passer d’autres tests : êtes-vous particulièrement sensible au bruit ? Merde, je suis le seul du quartier a avoir fait changer mes fenêtres à cause du bruit dans la rue... On va dire oui ?! Êtes-vous sensible à la lumière ? Euh, ben j’ai fait fermer le store chez LE psy à cause du reflet sur une façade rouge brique, alors... on va dire oui ?! Êtes-vous sensible à l’intonation avec laquelle on vous parle ? Ben oui, comme tout le monde (jamais vu quelqu’un s’en foutre de se faire engueuler, moi !). Oui non mais... est-ce que les gens vous disent souvent que vous vous questionnez sur un mot qu’ils ont dit, ou sur une intonation si légère qu’il n’y a que vous qui l’avez entendue ? Ah ouais, ça m’arrive tout le temps (hochement de tête entendu de la psy ! Eh, mais attends... T’en déduis quoi, là ????).

Bon, je suis ressorti des premières séances un peu... perturbé ???

Quoi ? Avoir le soleil dans la gueule pourrait ne pas gêner les autres ? Faut vérifier. à‡a tombait bien, le soir même je buvais un pot en terrasse. Juste en face de moi, un commerçant avait installé un phare dans la rue (oui, bon, une grosse lampe, quoi), un vrai phare qui était positionné de façon à me foutre sa lumière en plein dans la gueule et je plissais les yeux en détournant le regard pour éviter d’être ébloui. Ah mais tient, je suis peut-être hypersensible à la lumière, au fait ? Bon, je demande si quelqu’un prendrait ma place. Quelqu’un prend ma place, je tourne le dos à ce putain de mini-soleil, ouf ! Et l’autre ? Rien à foutre. Pas la moindre gêne ! Oh putain, je suis vraiment hyper-sensible à la lumière, merde !!

Cette anecdote (pas du tout surjouée, hein, vous êtes témoin ?) m’a amené à plein de petites remarques : quand je conduis de nuit, j’évite à tout prix de regarder les phares d’en face, je détourne le regard pour fixer la bande blanche ; j’ai du mal à me concentrer quand il y a de la musique ou la radio (encore pire : un mec qui parle... moi je peux rien faire). Je parais sans doute très « mono-activité » mais en réalité ce n’est pas vrai du tout : à l’intérieur, je suis 28 fils de pensées en même temps, alors le mec qui parle et qui fait rebondir l’un de ces fils sur un mot et ouvre 53 fils supplémentaires, c’est juste trop pour mon cerveau. Par contre, je peux sans problème boire un café, fumer une cigarette, discuter avec quelqu’un, prendre une douche, réfléchir à ma liste de courses et surveiller la cuisson du soufflé en même temps (si, si, je vous jure : la clope, le café et le four sous la douche, ça le fait bien).

Bref. A chaque fois qu’on abordait un truc ou un autre en séance avec l’une ou l’autre psy, je ressortais avec des questions qui donnaient des réponses « pas comme tout le monde » .

Et on a abordé des putains de sujets variés, depuis la sensibilité à la lumière, donc, jusqu’au baiser avec la langue en passant par la proximité physique, les discussions de salon (ou de comptoir), les process d’apprentissage etc.

Finalement, le psy m’a dit : bon, pour ce qui est du diagnostic, je n’ai plus de doute : vous êtes Asperger (quelle surprise, à ce stade-là ! Y’a longtemps que j’en avais plus trop, des doutes, moi). Ce qui vous sauve (hein ? je suis en danger ???) c’est que vous mobilisez votre grande intelligence (yeah, ça, ça le fait) pour compenser. Et vous compensez à tel point qu’on ne voit rien transparaître. Si je n’avais pas regardé derrière la façade, j’aurais juré que vous n’aviez pas le moindre symptôme. Vous avez dû apprendre très très tôt comment vous mouler dans les façons de faire des normo-pensants (non, déconne !), et comme vous êtes doué, vous avez réussi à vous plaquer un masque de normalité sur le visage. Mais derrière, il y a bien un autiste qui s’épuise à paraître sans cesse ce qu’il n’est pas. Tout cela doit vous coûter une énergie folle, mais on explorera ça à la prochaine séance !

Pour l’instant, l’évidence c’est que ça me coûte un pognon de dingue (comme disait l’autre), à raison de 150 € la séance généreusement remboursée 1,23€ par la Sécu et 0,26€ par la mutuelle.

Mais voilà. Je trouve ça utile. Je me suis toujours dit, depuis tout petit, que j’étais pas « câblé » comme les autres. Mais j’avais jamais vraiment envisagé que cette phrase soit vraiment vraie !

Et pourtant... J’aime pas trop qu’on oublie mon anniversaire (le 1er février, pour les étourdis, et comme on est le 4 février, je peux témoigner qu’il y en a un paquet, d’étourdis) mais en même temps, je sais jamais comment me comporter quand on me souhaite un bon anniv. J’ai toujours l’impression que soit les gens me collent (ouais, bon, chuis né y’a un bon paquet d’années, pas une raison pour m’étouffer dans vos bras en me bavant sur la gueule) soit qu’ils le disent pour des raisons sociales mais qu’ils s’en foutent.

J’ai toujours eu HORREUR de recevoir des cadeaux : soit il me plait et je suis ému aux larmes et je sais plus sur quel pied danser, soit il est nul et faudrait sourire en disant merci alors que je pense un truc du style « mais comment cet abruti me connait si mal qu’il imagine qu’une bouse semblable pourrait me faire plaisir ??? » .

J’ai toujours DÉTESTÉ qui me touchent quand ils me parlent (mais tu me veux quoi, là ? Tu me racontes la gastro du chat de ta voisine - dont je n’ai strictement rien à foutre, si tu veux savoir -, c’est pas un motif suffisant pour me tripoter avec tes mains baladeuses !!!).

J’ai toujours été déstabilisé à fond quand j’arrivais dans de nouveaux groupes : c’est qui, eux ? C’est quoi, leurs façons de se parler et de se comporter entre eux ? Ils jouent sur l’ironie, sur les sentiments, sur la compétition, sur [ce qu’ils appellent] l’esprit d’équipe, sur la force, sur l’intelligence, l’humour, la vantardise, l’union, la différenciation nous vs le reste du monde, les souvenirs, les anecdotes, la bouffe, la boisson, le là¢cher-prise, ou que sais-je encore. Non, parce que mine de rien, si vous faites gaffe, vous verrez que chaque groupe a ses propres codes d’appartenance. Certains se réunissent autour d’un leader (ça tient jamais bien longtemps) que tout le monde DOIT admirer. Certains se retrouvent pour parler du « bon vieux temps » (ou de leurs « exploits » quand ils avaient 15 ans). Certains pour étaler leur « réussite » (carrière, conjoint - si possible beau gosse ou gros seins -, enfants - généralement plus ils sont turbulents, mieux c’est). D’autres pour rigoler ensemble (à coups d’alcool, de pétards ou de blagues plus ou moins fines). D’autres pour partager une Passion (la bouffe - euh, la Gastronomie, les greffes d’arbres fruitiers de souche ancienne, le Bridge - le Tarot, le Rami, le Loto, le PMU - ou les vins de Bordeaux sur parcelle sablonneuse orientée Sud-Sud-Est et cueillis en vendange tardive).

Ben moi dans tous ces groupes, je me sens mal. Déjà parce qu’en général, j’ai pas la culture du Truc qui fait qu’on est là : je joue (un peu) à la belote (enfin, la coinche), je bois un peu de vin (mais je sais pas trop ce que j’aime), je n’aime pas me sentir alcoolisé, j’aime bien manger mais j’en fais pas une religion, je ne suis pas croyant, j’ai un chat mais c’est pas le centre de ma vie, j’ai un aquarium mais aucune envie de devenir le Gourou Du Poisson, j’ai pas mal de plantes mais j’y vais à l’instinct, j’aime bien coder en informatique mais là encore je n’ai pas de Religion sur un langage ou une architecture, je n’aime pas trop la compétition (je perds trop souvent ^^), l’ironie me met mal à l’aise quand il est tourné contre quelqu’un ou quelque chose (je FUIS littéralement les vidéos Youtube du style « try not to laugh » ou « 75 biggest fails » ), la « réussite » me semble toujours un peu vaine et pas mal hasardeuse (même la mienne), la différenciation avec les autres un peu superficielle (les Blancs seraient « mieux » que les Noirs ? Voyons... comment étayer cette assertion ??? Les Traders réussiraient mieux parce qu’ils gagnent un max - ouais sauf qu’ils meurent à 30 ans d’un infarctus à cause du stress ; t’as trouvé la Femme-De-Ta-Vie ? ben, t’as déjà ça avec celle d’avant et tu l’as plaquée au bout de 3 semaines, alors... ; t’as acheté une grosse voiture ? Hum... t’avais quoi à compenser ? t’as 212 paires de chaussures ? Ciel, vraiment je comprends pas comment t’as pu vivre jusque là sans tes escarpins bordeaux à boucle jaune qui vont si bien avec ton tailleur orange...)

Bon, je me moque, mais globalement, c’est bien à ça que ressemble mon immersion dans un groupe. Entre les « blasés » qui critiquent tout et les « winners » qui doivent le prouver, les « philosophes » , les « complotistes » , les « auto-centrés » , les « hétéro-centrés » , les obsédés d’un truc ou d’un autre, les qui-n’écoutent-personne etc, je m’ennuie souvent du petit jeu de la société humaine.
Ça ne veut pas dire que je fais mieux que les autres, hein. Non, parce que moi aussi, j’ai besoin d’exister, alors j’étale parfois mon savoir ou mes réussites, ou mes échecs en faisant semble d’en rire, ou mes problèmes (des fois que ça apitoie quelqu’un). Je suis bien immergé dans le petit jeu de la société humaine. Mais même quand c’est moi qui lance le jeu, je m’ennuie. à‡a sonne faux, ça sonne lourd, ça sonne désagréable, répétitif, lassant.

Mais parfois aussi, comme par magie, tout ça se passe autrement. J’ai quelques relations magiques. Des gens avec on parle « vraiment » . On rit de nos mésaventures, mais elles sont là pour le partage, pas pour l’apitoiement. On s’extasie de nos réussites, mais elles sont modestes, souvent dites pour encourager l’autre à tenter. Bref, chacun se raconte, mais sans oublier qu’il parle à l’Autre, que l’Autre est là, et que l’Autre entend et ressent. Alors parfois, quand l’Autre a du chagrin, on va plus parler de ce qui fait rire, ou à l’inverse de ce qui fait pleurer, pour ça sorte. Quand l’Autre est heureux, on va lui demander de raconter, pour en profiter un peu, et aussi être un peu jaloux, mais pouvoir le dire.

Ça ne change pas grand-chose : le contenu est le même. Mais par contre, la prise en compte de l’Autre en face est différente, l’intention est différente. Et ce petit quelque chose de différent, ça change tout pour moi. Et j’ai beau faire, je n’arrive JAMAIS à ignorer ou à ne pas voir si ce petit grain de partage est présent ou non.

Alors, si je devais dire au final ce qui me différencie vraiment, je dirais que ce n’est pas l’homosexualité (qu’on aime un homme ou une femme, à la fin, toutes les histoires se ressemblent et « les histoires d’amour finissent mal, en général » ), ce n’est pas la maladie (tout le monde a ses bobos, non ?), ce n’est pas la douance (être « plus intelligent » - merci de me donner la définition - n’est pas d’une grande aide, c’est aussi souvent un grand handicap et je ne suis pas sûr que cela change tant de choses au total) et ce n’est pas l’autisme (être plus « renfermé sur soi et hypersensible » fait une différence, mais au fond, est-ce que tout le monde ne souffre pas dans les relations aux autres et à la Vie ?). Par contre, c’est bien le mélange de tout ça : gay, surdoué, autiste, malade.

Les choses de la vie rebondissent tout le temps sur l’une ou l’autre de mes facettes et il arrive bien souvent qu’elles rebondissent entre elles. Alors je passe du temps à trouver la bonne posture.

T’es hétéro ? T’inquiète, chuis pas assez obsédé sexuel pour te sauter dessus.
T’es homo ? Super, mais y’a pas de raison que ça nous rapproche ou nous éloigne, en soi, non ?
T’es con ? T’inquiète, chuis pas assez orgueilleux pour de dévaloriser avec mon intelligence.
T’es intelligent ? T’inquiète, chuis pas assez compétitif pour nous départager (et puis de toute façon, c’est moi qui gagnerais et je veux pas t’humilier ^^)
T’es en bonne santé ? T’inquiète, chuis pas assez geignard pour te demander de pleurer avec moi.
T’es malade ? Alors écoute, j’ai déjà bien assez à faire avec mon propre dossier, j’ai pas trop envie d’en rajouter, mais comme je t’aime bien, je peux faire un effort si t’es en urgence, là.
T’es normo-pensant ? T’inquiète, chuis pas assez jaloux pour tenter de te prouver à quel point ça te limite(rait).
T’es riche ? Ouais, ben je vais tenter de me souvenir que ça fait pas le bonheur, même si perso je crois que ça aide un peu quand même.
T’es pauvre ? Ben pas de cul, mais je vais pas non plus me dépouiller pour t’aider, quoi, même si je ressens une légère culpabilité de cet égoïsme !
T’es mignon ? Ok, j’apprécie, mais je vais quand même faire un effort pour trouver la Personne Humaine derrière la façade...
T’es moche ? Ok, je trouve ça un peu gênant, mais je vais quand même faire un effort pour trouver la Personne Hum... euh... mais alors des efforts, faut que j’en fasse TOUT LE TEMPS ?

Alors voilà. C’est ça : des efforts, faut que j’en fasse TOUT LE TEMPS. Il n’y a JAMAIS de situation simple où je peux juste être moi en m’en foutant du reste. Un homo-autisto-malado-surdoué, ça fait toujours des efforts. Sauf quand il est seul.

Alors pardonnez-moi, mais je vais retourner dans ma grotte, là. Un peu triste d’y être seul, mais tellement confortable de ne pas avoir à forcer.

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