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On devient humain par la relation

Interview de Marie Balmary
Psychologies magazine, octobre 2005

vendredi 15 septembre 2006

 » Décrypter les étapes qui permettent à l’être humain de devenir un sujet libre. » Etes-vous d’accord pour que l’on résume ainsi votre recherche ?

Tout à fait. Et j’aime ce terme d’étapes, car il indique une croissance, et non une liberté donnée d’avance. Celle-ci est un droit légitime et à décréter, mais reste un état à conquérir dont des instances puissantes nous barrent le chemin. [...]

C’est cette instance, le surmoi, qui dit : « Tu ne dois pas être ça » , « Tu n’as pas ressenti ça » ... Tous les « il faut » dans lesquels on est pris et dont il est nécessaire de s’affranchir pour qu’arrive enfin la possibilité de dire un vrai « je » , qui est à la fois « ce que je ressens » , « ce que je désire » , « ce que je sais de ce que j’ai vécu » . Pourquoi est-ce difficile ? Parce que nous naissons minuscules et dépendants d’autrui. La voix des autres - nos parents, nos proches... - est en nous avant la nôtre, et la nôtre doit peu à peu s’élever et chercher à se faire reconnaître.

[...]

Il ne suffit pas de multiplier des cellules pour que ça donne un être humain. On devient humain par la relation. Par un autre qui croit que vous existez vraiment, que vous êtes un être parlant qui cherche à en rencontrer d’autres, qui peut accomplir ce désir. Croire, là, prend son sens hébreu de « c’est solide... je peux m’appuyer dessus » , tout le contraire de « je me prosterne » [1].

Cela implique-t-il un type de relation particulier ?

Oui, que ce soit du côté religieux ou de celui de la psychanalyse, croire, c’est avoir une intuition de l’invisibilité de l’homme. Et ce qui est invisible doit être deviné, cru, accueuilli, pour oser se montrer. Si quelqu’un a peur, il restera dans son for intérieur, caché, il ne pourra pas se manifester à l’autre. [...] Qu’elle soit divine ou non, la présence d’un sujet pour quelqu’un qui n’est pas encore sujet est une épreuve. Il faudra qu’un autre le reconnaisse, le confirme : « Pour moi, tu existes, tu comptes. Je crois que tu as quelque chose à dire. Toi seul peut le dire, moi je ne sais pas, je ne suis pas toi » . Ce croire est un respect, fondateur de l’identité.

Rien à voir avec l’amour ?

Il y a un « je t’aime » qui est un « je te veux, tu fais partie des miens » , qui peut aller jusqu’à « je te prends, je te mange » . Bien sûr, nous commençons tous par ce premier sens. Mais peu à peu nous sentons qu’il y a deux verbes aimer, comme dans le Nouveau Testament en grec, le premier veut dire « tu fais partie des miens, tu m’appartiens » , le second « je t’accueile avec affection » . Dans la relation psychanalytique, il n’y a pas le premier verbe, ce n’est pas « tu m’appartiens » , mais « je t’accueille comme un autre » .

Cet accueil de l’autre, comment est-on apte à le faire ?

En ayant été soi-même accueilli, écouté par un autre. Là, rendons hommage à Freud. Si scientiste qu’il fut, il s’est tout de même appuyé sur l’expérience de la relation et non pas d’abord sur une théorie savante : ce qui vous rend apte à faire ce métuer, c’est d’en avoir fait l’expérience. Et on comprend bien que si on n’a pas été écouté soi-même, on ne pourra pas vraiment écouter un autre.

Devenir soi, est-ce impossible seul ?

Être seul, c’est souvent être poussé par ses propres pulsions, son passé et tout ce qui a pu vous gouverner. Etre seul et tout-puissant, c’est souvent être soumis à un grand « il faut » . Une des choses qui m’a le plus frappée de l’histoire de Hitler ou de grands criminels, c’est combien ils « devaient » faire ce qu’il ont fait, combien ils étaient des êtres soumis en réalité. Et si l’on croit qu’une analyse ce n’est que cela - amener la personne à vivre son propre désir -, on peut l’amener à être asservie à ses pulsions qui deviennent alors sa loi. On lui permet de se dégager d’un surmoi, mais pour en avoir un nouveau, qui serait son désir immédiat. On conduit ainsi un être humain à être « livré à lui-même » , comme on dit si bien, « livré pieds et poings liés » , c’est-à-dire qu’il n’a plus de point d’appui, de loi de relation pour orienter, organiser, unifier ses pulsions. C’est une des caractéristiques possibles que peut entraîner un mauvais usage de la psychanalyse.

Qu’est-ce qu’une vraie libération ?

Freud a vu ça du côté du « meurtre » . Il a parlé du « meurtre du père » , du roi, prophète... Mais je crois que si l’on s’est libéré sur ce mode de la destruction, ça ne tient pas. En revanche, si je parviens à me faire reconnaître comme homme libre par celui dont j’ai été l’esclave, ma liberté sera étayée, solide. Elle ne sera pas tout le temps remise en question. Il y a la force des armes, il y a aussi la force psychique qui convoque l’autre. Lorsqu’un autre se croit tout-puissant parce qu’il peut nous détruire, dès lors que l’on se dit « il peut me tuer, et alors ? » , on est en état de le convoquer en tant qu’homme. Et là, il ne se sentira plus menacé. Quand celui qui était le faible comprend que le soi-disant fort a peur, il se libère de sa peur de la maîtrise de l’autre ; alors arrivent des changements impressionnants, tant au niveau des familles, du voisinage, des banlieues, que des peuples. La force psychique et spirituellle est nécessaire pour que nous sortions de la peur des autres, cette peur qui est vraiment le nerf de toutes nos guerres.


[1Eric : elle fait référence à un paragraphe au dessus où elle fait la distinction entre le croire-soumission comme celui de la religion intégriste et le croire-liberté lié à la révélation du Soi-sujet et de l’Autre-sujet

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